Je pense qu’un vrai humaniste ne peut pas accepter la légalisation de l’euthanasie.
En effet, l’euthanasie, c’est donner la mort et donc détruire la vie. Or pour un humaniste, la Vie a quelque chose de sacré : la Vie vient de loin, elle nous a précédés, elle nous dépasse, elle possède une force transcendante qui devrait forcer le respect absolu….
De plus, pour un humaniste, chaque individu, par son unicité, par son humanité, est grand, digne et sacré. Supprimer un individu c’est détruire un trésor unique et c’est mettre à bas la sacralité de notre humanité.
Refuser de croire ou du moins de poser comme repère de base la sacralité de la Vie et surtout celle de l’humanité unique de chacun, c’est détruire un pilier fondamental de notre civilisation. C’est affirmer désormais que la Vie et l’humanité de chacun ne sont que des données relatives entre les mains d’une société, de la politique ou d’individus au jugement, à la raison et à la volonté pourtant si faibles…
A t-on seulement réfléchi aux implications d’un tel raisonnement ? Légaliser l’euthanasie est une brèche qui peut tout à fait s’élargir : où fixera t-on les limites de l’atteinte à la vie et à l’humanité ? qui poussera le curseur ? que décidera « l’homme raisonnable », « l’expert » de demain ?
Peut-on s’imaginer ce que représente la légalisation de l’euthanasie pour ceux qui se battent face à la maladie, au handicap ou même à la vieillesse? Car accepter l’euthanasie, c’est accepter l’horrible refrain qui siffle que « la vie n’a rien d’absolu, rien ne sert de s’y accrocher », « toute vie n’est pas forcément bonne à vivre », « que dans certains cas, il vaut mieux mourir », « qu’il faut être raisonnable et ne pas s’attacher à la vie si l’on souffre trop ou si l’on devient une charge pour ses proches »…Ce refrain, c’est celui d’une culture ou d’une civilisation de la mort… Ce n’est pas ce que je veux pour moi, ni ce que je veux laisser en héritage à mes enfants…
Il faut également souligner un point important dans le débat sur l’euthanasie : c’est l’abus du concept de liberté individuelle. Les défenseurs de l’euthanasie s’appuie sur la primauté de la liberté de l’individu pour justifier la légalisation de celle-là. Ici, il faut comprendre la « liberté de l’individu » au sens de « libre arbitre ». Or pour moi, l’exercice du « libre arbitre » ne conduit pas toujours à une situation de réelle Liberté, Liberté pris ici au sens plus noble du terme. La Liberté en ce sens, c’est le stade auquel l’individu est libre de tout ce qui l’empêche de s’épanouir et d’être pleinement humain, pleinement lui-même. Défendre la Liberté de l’individu serait donc plutôt essayer d’atténuer la douleur, soutenir, encourager afin de permettre à l’humanité de la personne de s’exprimer encore malgré tout. Donner la mort serait au contraire aller à l’encontre de la Liberté : la mort détruit et aliène pour toujours.
Mais même si l’on s’en tient à la défense du « libre arbitre » de l’individu, l’argumentation des pro-euthanasie se révèle biaisée… En effet, un choix vraiment « libre », un véritable « libre arbitre » suppose pour l’individu une connaissance complète de la question, une maîtrise parfaite de ses sentiments etc… Bref, on le voit, un individu ne fait jamais de choix entièrement libre et jamais il n’en fera : l’être humain est limité. Or le choix de la mort demande un choix particulièrement libre. En effet, la mort est absolue : on ne peut revenir dessus, à moins de ressusciter… A conséquence absolue, il faut un choix absolument libre, si l’on respecte une certaine « sacralité » du libre arbitre de la personne… Or cela est impossible à obtenir… Il suffit de penser aux nombreuses contraintes et faiblesses auxquelles une personne malade, handicapée ou âgée peut ou doit faire face : pressions implicites ou explicites de l’entourage des proches, regard des autres, manque d’information, désespoir, besoin de réconfort non satisfait, dégoût de soi…. Parce que l’individu ne sera jamais assez libre pour choisir, on ne peut se fonder sur son libre arbitre pour poser un acte aussi absolu dans ses conséquences que celui de donner la mort.
L’argumentation des partisans de l’euthanasie est donc rationnellement facilement démontable. Ce qui est en revanche beaucoup plus difficile, c’est de surmonter le « sentimentalisme » et le jeu des émotions qui existent autour de la question délicate de l’euthanasie. Face à la souffrance, à la maladie, au handicap voire à la vieillesse, beaucoup peuvent ressentir un malaise fort. Par peur, par faiblesse, on préfère alors évacuer ce malaise en donnant la mort à l’individu qui en est la cause. Par compassion parfois aussi, on pense bien faire en défendant le décès par « choix individuel ». Et puis il y a aussi l’argument égoïste, froid et implacable du coût financier que représente l’entretien des plus faibles par la société… Enfin, il existe aussi chez certains, plus libertaires, un désir fou et orgueilleux de toute puissance de l’homme qui pourrait décider et maîtriser sa vie entière tout comme un certain plaisir à faire exploser les repères les plus solides de notre civilisation…
Je crois qu’il est du devoir de l’humaniste bien compris d’essayer de sortir la question explosive de l’euthanasie du terrain des émotions pour élever le débat et laisser la place à la réflexion, à la prudence et à la sagesse…